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Rodney Graham
Rheinmetall/Victoria 8, 2003
Projecteur 35 mm Cinemeccanica Victoria 8,
boucle de film muet 35 mm
Acheté en 2004
Artiste de renommée internationale, Rodney Graham est une figure marquante qui a influencé
l’essor de l’art conceptuel, lequel occupe une place essentielle dans la production artistique
de Vancouver depuis le début des années 1970. L’art de Rodney Graham est, de manière générale,
empreint d’intelligence et d’un humour légèrement teinté de parodie. Parce qu’elles font
appel à plusieurs moyens d’expression, ses oeuvres sont difficiles à classer; ses installations,
performances, photographies, sculptures, films, vidéos, textes et musique s’inspirent de la culture
populaire, mais se réfèrent aussi à l’histoire, à la littérature, à la philosophie, à la musique et
aux sciences. Les oeuvres de Graham ont pris la forme de maquettes architecturales, de photographies
de grand format, de livres, d’un piano relié à un ordinateur, d’une diligence et de partitions
musicales, ainsi que de disques et de CD.
Dans Rheinmetall/Victoria 8, une machine à écrire allemande de marque Rheinmetall, datant
des années 1930, est le sujet d’un film muet projeté par un appareil Victoria 8 de 1961, qui, à
l’époque, était considéré le nec plus ultra des projecteurs. Des vues de la machine à écrire
sont présentées dans une série de longs plans, lents et silencieux, qui rappellent l’art photographique
de la Neue Sachlichkeit des années 1920. De gros plans révèlent la mécanique
interne – les marteaux et les touches – et la beauté inattendue de la technologie obsolescente.
Pendant le déroulement du court métrage, de la neige commence à tomber, saupoudrant les
touches d’une poussière ressemblant à du sucre glace. Dans une démarche typique de Rodney
Graham, cette action très subtile (un possible point culminant) semble totalement irrationnelle
et rappelle, entre autres choses, les petits grains de cannelle déposés sur un élément de
cuisinière dans une oeuvre antérieure intitulée Granules de cannelle étincelants (1991, Musée
des beaux-arts du Canada). Plus le film avance, plus la machine est ensevelie et commence à
ressembler à un paysage de neige dans une tempête. Dans le dénouement du film, une dernière
chute de neige menace d’engloutir tout l’engin, mais n’y parvient pas. La dernière scène
offre une vue frontale de la machine à écrire recouverte de neige. Puis, le film, diffusé en boucle,
recommence.
La taille imposante ainsi que le bruit mécanique du projecteur Victoria 8 dans Rheinmetall/
Victoria 8 détournent le regard du spectateur de l’image étonnamment séduisante et fascinante
de la machine à écrire. Sur l’écran, le vrombissement cyclique du projecteur ajoute au
film muet une bande sonore qui s’approprie le bruit répétitif, et quasiment oublié, d’une
machine à écrire. En détournant les yeux de l’écran, le spectateur aperçoit une machine industrielle
généralement reléguée à la cabine de projection située à l’arrière de la salle de cinéma
où elle est cachée afin que son bruit ne vienne nuire aux effets de l’image qui bouge et de
la bande sonore qui l’accompagne. Regardant tour à tour la machine à écrire et le projecteur,
le spectateur commence à ressentir le lien qui existe entre les « deux technologies en conflit » :
l’obsolescence. La perception de cette caractéristique commune n’est pas dépourvue d’humour
et relève de l’ironie caractéristique de Graham.
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