© The Dorothea Lange Collection, Oakland Museum of California, Oakland. Don de Paul S. Taylor. |
Dorothea Lange
La soupe populaire White Angel , 1934, tirée v. 1945
Épreuve à la gélatine
argentique
Acheté en 2005
Les oeuvres de Dorothea Lange intitulées La soupe populaire White Angel (1934), acquise
par le Musée des beaux-arts du Canada en 2005, et Une mère, travailleuse itinérante (1936),
acquise en 1995, sont sans conteste des images qui expriment la quintessence de la Crise.
Toutefois, elles s’inscrivent aussi dans le contexte plus vaste de l’histoire de la photographie
qui privilégie les moments de la vie quotidienne plutôt qu’une vie idéalisée. Ce qui frappe
dans La soupe populaire White Angel, c’est l’élégance avec laquelle Lange a su établir le parfait équilibre entre l’aspect narratif et l’aspect formel de sa composition. Faisant preuve d’un
remarquable talent pour organiser un espace complexe, elle attire notre attention sur un seul
individu parmi tous les sans-emploi qui font la queue dans un enclos bondé pour obtenir de
la nourriture. Il s’agit de la silhouette d’un homme qui tient fermement une tasse en fer-blanc
et qui, d’après ses vêtements râpés et son apparence débraillée, doit être sur le pavé depuis
un bon moment. Appuyé sur l’un des barreaux de la clôture en bois qui coupe en diagonale le
quart inférieur de la photographie, il regarde devant lui, le dos tourné au reste de la foule, perdu
dans ses pensées. Les yeux protégés contre l’intrusion de l’objectif par le large bord de son
chapeau cabossé, il émerge de la masse sombre des hommes grâce à sa position dans le sens
contraire des autres. Sa présence est mise en valeur par la lumière qui tombe sur les côtés
et sur le bord de son chapeau, sur sa tasse en fer-blanc et sur ses mains jointes. En mettant
l’accent sur ces détails révélateurs, et en plaçant le personnage principal légèrement à gauche
du centre, Lange crée un effet de tension bien senti entre les éléments à la verticale et en
diagonale, mais aussi une image d’une dimension théâtrale qui interpelle le spectateur par son
contenu. Comme l’ont fait remarquer plusieurs historiens de l’art, Lange atteint un équilibre
remarquable entre un portrait collectif représentant l’humanité et celui d’un individu.
C’est au début des années trente – quand l’intensité de la crise économique frappant les
citoyens ordinaires devient évidente – que Lange, spécialiste du portrait en studio, descend
pour la première fois dans la rue pour photographier et documenter les files désespérées de
sans-emploi et d’indigents. En 1934, alors que des dizaines de millions de personnes sont sans
travail, les villes deviennent des refuges pour les personnes déplacées en quête d’un gagnepain.
Pendant l’hiver de 1932 ou 1933, Lange peut voir depuis son atelier une soupe populaire
qu’une femme riche de San Francisco a organisée pour nourrir les démunis. C’est donc de très
près qu’elle fut témoin du drame humain qui se déroulait quotidiennement autour d’elle.
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