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Daniel Richter
Tefzen, 2004
Huile sur toile
Acheté en 2004
Dans ses toiles vibrantes, Daniel Richter prend le pouls du monde en utilisant comme référence
des reproductions d’oeuvres d’art, des couvertures de livres, des affiches et autres photos
de films, coupures de journaux, bandes dessinées et pochettes de disques. Fortement expressionnistes,
les toiles de Richter ravivent l’intérêt pour la peinture tout en poursuivant la tradition
de l’art engagé tel que représenté en Occident par des artistes comme Goya et Leon
Golub. Étant donné le rôle d’icônes que jouent les oeuvres à caractère politique de Richter, elles
ont d’ailleurs été comparées à celles de Golub.
Tefzen représente une foule d’actions absurdes à la suite de ce qui semble être une bataille
entre les membres d’une troupe de cirque. La toile est jonchée de corps inertes; un clown,
allongé sur le ventre, tourne son triste visage peint vers les spectateurs. Au premier plan, un
chien se tortille de façon obscène, tandis que tout près, un ours, probablement mort, est écroulé par terre. Au fond, un lion bleu en colère s’avance, peut-être pour se venger de toutes
ces morts, alors qu’un autre chien à l’air sauvage – peut-être s’agit-il d’un loup – regarde pardessus
la tête du forain abattu et passe toute cette dévastation en revue. Un autoportrait de
l’artiste déguisé en danseuse agile domine la peinture. Debout, les mains en l’air, l’artiste semble
s’écrier : « Que le spectacle continue ! » Toutefois, il tourne le regard vers cette étrange
scène de destruction et sa stupéfaction contredit ce qu’exprime son corps, plaçant ainsi Tefzen dans le domaine de la tragédie et de la satire.
Les figures de Tefzen sont modelées d’après des vocabulaires variés, et la peinture est appliquée
sur la toile de plusieurs manières, soit par petites zones de couleurs sobres mais aussi à l’aide de techniques picturales plus agressives – par jets, dégoulinements et éclaboussures.
Au-dessus de toute cette activité, une structure en forme de grille soutient des étoiles rouges,
blanches et bleues qui rappellent le drapeau des États-Unis. D’ailleurs, la combinaison des
couleurs est hautement patriotique et dans le style américain : un fond rouge piqué de blanc
et de bleu. Un liquide de couleur sang tombe goutte à goutte sur la scène en dessous. Un
homme minuscule portant un turban, tel un lilliputien sorti des Voyages de Gulliver, regarde
fixement le corps du clown. Arborant une teinte verdâtre, la figure semble avoir été tirée des
séquences d’une vidéo nyctalope et insérée dans cet étrange paysage. Un tout petit texte
presque invisible, écrit en travers du corps d’une femme d’âge mûr, implore : « S’il vous plaît,
aidez-nous. » À ce titre, on peut voir dans Tefzen une peinture d’histoire allégorique, peut-être
une peinture moderne de désastre-spectacle.
Tefzen fait partie d’un cycle de quatre peintures dont trois portent des titres ressemblant à
des anagrammes : Nerdon vient de « Norden » qui veut dire Nord; Eston de « Osten », signifiant
Est; Duisen de « Sueden » qui veut dire Sud. Tefzen, la quatrième peinture, est un hybride de
Westen (« Ouest ») et de Fetzen (qui en tant que nom veut dire « lanières » et en tant que verbe
signifie « combattre » en argot). On peut donc, de façon plausible, traduire le titre par l’Ouest
combattant. On serait tenter d’intituler tout simplement l’oeuvre De l’Ouest, avec toutes les rami-
fications politiques et les dimensions critiques que cela suggère.
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