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Pensionante del Saraceni, ou le Pensionnaire de Saraceni
Saint Jérôme pénitent dans son cabinet, v. 1615
Huile sur toile
Acheté en 2004
Cette touchante peinture évocatrice d’un humble saint Jérôme absorbé dans la prière, exécutée
par un mystérieux artiste connu sous le nom de Pensionante del Saraceni, est une
découverte majeure dans l’histoire de l’art baroque à Rome. On ne connaît ni le véritable nom
ni le lieu de naissance de l’artiste. Toutefois, en 1943, l’érudit de renom Roberto Longhi décèle
une véritable personnalité artistique dans un petit groupe de peintures dont le style est proche
de celui des oeuvres de Carlo Saraceni, mais qui s’en distingue par des accents nettement
français ou de l’Europe du Nord. Longhi surnomme cet artiste énigmatique Pensionante
del Saraceni – c’est-à-dire, littéralement, pensionnaire ou locataire de Saraceni. Carlo Saraceni
peignait à Rome dans le style de Caravage au cours des premières décennies du XVIIe siècle.
C’était un francophile qui s’habillait à la française, parlait la langue couramment et avait plusieurs étudiants et disciples français. Rappelons qu’en dépit de l’état actuel de la recherche, il
n’est pas rare d’être en présence d’un peintre du XVIIe siècle que l’on ne peut identifier.
Le style des oeuvres du Pensionnaire révèle qu’il avait une connaissance directe des oeuvres
de jeunesse de Caravage et qu’il a dû travailler à Rome dans les années 1620 et 1630. Le
Pensionnaire est sensible non seulement au contenu émotif de l’oeuvre de Caravage, qui interpelle
le spectateur, mais aussi à la vigueur de son naturalisme et aux forts contrastes entre
le clair et l’obscur créés par un faisceau de lumière rasante pénétrant une scène d’intérieur.
Cependant, le Pensionnaire s’attarde aussi au détail, tendance souvent associée à l’art de
l’Europe du Nord. Dürer – artiste nordique grandement influencé par l’art italien – révèle lui
aussi ce penchant dans sa célèbre gravure de Saint Jérôme dans sa cellule (1514). D’ailleurs,
les éléments de nature morte observés dans les étagères recouvertes de livres, de bougies, de
ciseaux et d’un sablier, que l’on peut voir dans l’interprétation du cabinet de saint Jérôme du
Pensionnaire, rappellent la gravure de Dürer.
Saint Jérôme (342–420), l’un des quatre Pères latins de l’Église, est un érudit qui, pendant
quatre ans, s’est retiré en ermite dans le désert de Syrie pour étudier l’hébreu. Plus tard, il
traduira l’Ancien et le Nouveau Testament en latin. En peinture, saint Jérôme est représenté le
plus souvent comme un savant au travail dans son cabinet ou bien comme un pénitent dans
le désert; échevelé et à moitié nu, il est agenouillé devant un crucifix et tient une pierre avec
laquelle il pourra se frapper la poitrine, avec à proximité un crâne et un sablier (symboles de
mortalité). Ici, le Pensionnaire a visiblement combiné les deux versions de saint Jérôme en
plaçant le saint pénitent plongé dans la prière dans un coin de son cabinet, avec ses livres et
son matériel d’écriture abandonnés sur la table derrière lui. Caravage a peint plusieurs versions
de saint Jérôme mais il se concentre sur la personne du saint, omettant presque tout décor,
qu’il s’agisse du désert ou d’une étude. Cependant, hagard et à peine vêtu, le visage ridé, les
cheveux gris et le corps osseux – aspects révélés par la lumière venant de la gauche –, le saint
Jérôme du Pensionante del Saraceni dérive clairement de Caravage.
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