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Avant le silence
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Betty Goodwin
Avant le silence, 1998
bronze sur étagère de bois peint
29,6 x 28 x 39,5 cm
Acheté en 1998
© Betty Goodwin

Surtout connue et réputée pour ses dessins, Betty Goodwin s’est néanmoins tournée à plusieurs reprises vers la sculpture lorsqu’elle ressentait l’exigence de la gravité et des qualités matérielles propres à cette forme d’art. Par ailleurs, la relation entre la sculpture et l’art commémoratif, celui-ci répondant au besoin de laisser une trace permanente de la présence fugace de l’homme sur terre, explique ce choix logique pour une artiste dont les œuvres évoquent fréquemment la douleur de la mémoire et le passage du temps. Alors que ses sculptures plus anciennes ont souvent pris la forme de reliquaires ou de tablettes ayant l’apparence d’autels, Goodwin nous offre ici l’une de ses rares œuvres sculptées entièrement figuratives.

Plusieurs dessins et une sculpture exprimant les thèmes de la contrainte et de l’immobilisation sont apparentés à Avant le silence, bronze grandeur nature d’un pied tronqué maintenu à la cheville par deux mains. Cette série, plus ancienne d’un an ou deux, met en scène des personnages grimpant à des échelles tandis que d’autres s’efforcent de les retenir. La sculpture en acier et cire d’abeille, sans titre, est l’œuvre qui préfigure le mieux Avant le silence tant par le thème que par l’économie éloquente du rendu. Une main, appartenant à un bras maigre et allongé empoigné d’en bas par un autre personnage, s’agrippe fermement au barreau d’une échelle. L’ambiguïté du geste en renforce la tension: la main appelle-t-elle à l’aide ou cherche-t-elle à entraîner l’autre vers le bas ? Avant le silence reprend le thème de la contrainte de la même manière équivoque. Les mains qui maintiennent la cheville suggèrent aussi intensément la stabilité et le soutien que la contrainte et l’agrippement.

Cette ambiguïté, jointe à l’apparent équilibre des forces – les mains fermes et le pied statique ne peuvent que refléter la fragilité d’un bref instant s’insérant entre les mouvements de la contrainte violente ou de l’agrippement désespéré –, est caractéristique de l’œuvre de Goodwin. L’équilibre du geste devient plus poignant encore si l’on met en perspective la déstabilisation qui imprègne avec tant de force la poursuite artistique incessante de la condition humaine chez Goodwin. Avant le silence réussit à saisir avec une force inouïe ce fugitif moment transitoire où tout peut inopinément basculer, passant du fiable au périlleux, du bénin au malin, fragile instant de tension extrême où le désir ardent d’un point d’ancrage sûr dans un monde sans repères semble illusoire, pour ne pas dire totalement futile. Émergeant de cet univers, Avant le silence évoque un arrimage dans la toile confuse des ambivalences qui sont la substance même de la vie intérieure.

Le MBAC conserve des œuvres très variées de Betty Goodwin, dont une sculpture importante de 1978, Sans titre, et une autre, plus récente (1992), La mer des Sargasses. Avant le silence, qui symbolise le corps humain avec un art convaincant et un humanisme profondément enraciné, est un ajout d’un genre particulier. Ce bronze remarquable atteste la complexité des recherches entreprises dans les domaines de la vulnérabilité et de la lutte humaines par une artiste mature, dont l’œuvre n’a jamais cessé de nous émouvoir.