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On a décrit l'installation de Betty Goodwin Classification périodique des éléments comme un « tombeau » ou un hommage au chimiste italien Primo Levi, écrivain rescapé de l'Holocauste qui a donné ce titre à son autobiographie. Chaque chapitre du livre porte le nom d'un des éléments, représentations métaphoriques des épisodes du drame poignant de sa vie. Très touchée par son témoignage, Goodwin a voulu exprimer son émotion par la sculpture. Le numéro tatoué sur l'avant-bras de Levi, elle l'a inscrit sur une des pattes de la table supportant un lourd cube de verre rempli de terre. La table et le contenant évoquent à la fois un corps et une tombe; si l'on y voit un corps, on constate que la terre occupe l'espace où serait la poitrine. À proximité de la table se dresse une réplique en plâtre érodé d'une défense de narval, considérée au Moyen-Âge comme la corne de la légendaire licorne. Pièce étrange, cette sorte d'excroissance osseuse de la taille d'un homme sert elle aussi, dans ce contexte, à évoquer la mort. On retrouve des os et des tables dans d'autres uvres récentes de Goodwin. Dans Le Pouls d'une chambre, achevée un an auparavant, des tables soutiennent des boîtes en acier d'où émergent des tuyaux. Allusions indirectes aux chambres à gaz des nazis, ces boîtes ressemblant à des fours nous rappellent l'horrible réduction de chairs et d'os à leurs éléments de base. Dans les dessins de Goodwin, on trouve également des os suspendus à côté de pendules - un rapprochement qui révèle une réflexion sur le sens de l'existence. Avec les années qui s'accumulent, Goodwin apparaît de plus en plus obsédée par le temps et par le souvenir. L'art, chez elle, constitue une façon de mettre un peu d'ordre dans l'existence, inévitablement marquée par la perte. Outil scientifique, la classification périodique devient ici le bilan métaphorique d'une vie. On connaît moins bien Goodwin comme sculpteure, elle dont la grande contribution à l'art du XXe siècle aura été de donner ses lettres de noblesse au dessin comme mode d'expression majeur. Il n'en reste pas moins qu'elle a souvent eu recours à des matériaux denses et durs tels que l'acier et le plâtre pour rendre plus concrètes les lignes investigatrices et exploratrices de ses dessins; elle a aussi utilisé les formes en trois dimensions pour mieux fixer ses idées dans l'espace immédiat du spectateur. Outre la Classification périodique des éléments, le Musée possède une importante collection de ses estampes et dessins ainsi que trois sculptures marquantes: une structure en acier sans titre, connue sous l'appellation de « Lit d'une rivière » (1978), La mer des Sargasses (1992), une sorte de vaisseau en plâtre, et un petit bronze, Avant le silence (1998). La Classification périodique des éléments fait écho à ces uvres et vient approfondir notre compréhension de la démarche artistique de Betty Goodwin. |