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Granules de cannelle scintilantes
Granules de cannelle scintilantes


Rodney Graham
Granules de cannelle étincelantes, 1996
Bouche de film 16 mm, projecteur écran, sièges de cinéma, enceinte de la grandeur d'une cuisine
305 x 460 cm

Si l'on connaît Rodney Graham principalement par ses photographies, ses sculptures et ses écrits, il n'en a pas moins réalisé de nombreux films et vidéos, dont Granules de cannelle étincelantes. Sa production dans ce domaine s'inspire d'une théorie de l'anti-cinéma. Elle repose sur la déconstruction de l'expérience cinématographique et sur la refonte de cette dernière sous l'angle d'une exploration critique de sa substance et de sa dynamique. Voici comment Graham décrit son film :

« Granules de cannelle étincelantes documente [...] une expérience maison destinée à être projetée dans un cinéma aux dimensions de ma modeste cuisine: un mini-spectacle scintillant, comme une constellation d'étoiles qui apparaîtrait sous vos yeux quand vous secouez la tête, et que l'on peut reproduire simplement en répandant des granules de cette épice commune sur la surface en spirale d'un élément de cuisinière électrique avant de l'allumer dans le noir. »

Granules de cannelle étincelantes est à la fois un film et une installation : un cinéma de poche de la grandeur d'une cuisine, avec cinq ou six sièges exactement pareils à ceux que l'on s'attend de voir dans un cinéma. Graham ne tente nullement de camoufler le bruit du projecteur installé en dehors de l'espace restreint de présentation; on le perçoit d'autant mieux qu'il s'agit d'un film muet. L'image projetée est bel et bien cinématographique : grande et brillante, elle remplit le champ de vision du spectateur comme il se doit dans un vrai cinéma.

On peut interpréter l'œuvre de Graham comme un long essai sur l'acte de voir en tant qu'illumination. En photographie, c'est l'illumination qui crée une image à l'intérieur de la chambre noire ou sur la pellicule, de la même manière que la vision résulte de l'excitation de la rétine par la lumière. La fascination de l'artiste s'étend jusqu'aux illuminations qui se produisent dans le subconscient, d'où cet intérêt jamais démenti pour les théories de Freud. Dans Granules de cannelle étincelantes, l'image présentée en boucle se répète indéfiniment et symbolise, dans l'esprit de Graham, le piège de la névrose qui amène un sujet à répéter sans cesse les mêmes gestes, machinalement et sans but précis.

On ne retrouve pas dans Granules de cannelle étincelantes les thèmes abordés par Graham dans des œuvres plus littéraires comme L'Île des Contrariétés (1997), mais il a recours à des structures formelles similaires pour se rattacher à la tradition du cinéma. Conçu pour être projeté indéfiniment et de façon mécanique, le film, pourrait-on dire, par sa nature même a un caractère névrotique selon l'idée que Graham se fait de la névrose. Malgré cela, l'image séduit, illumine et plonge le spectateur dans l'émerveillement, ce qui fait aussi partie de l'expérience cinématographique. Qu'un simple élément de cuisinière saupoudré d'une épice ordinaire réussisse à provoquer de telles émotions en dit long sur le pouvoir transformateur de la vision et de l'art de Graham.