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La pièce appartient à la dernière période du peintre américain Philip Guston, une période marquée par un retour à la figuration, qui fut aussi l'une de ses plus remarquables. Comme les autres uvres tardives de Guston, sa tonalité sombre témoigne aussi bien du drame intérieur du peintre aux prises avec ses démons personnels que des conflits qui agitaient la scène politique et sociale. Guston était l'un des plus éminents peintres abstraits de sa génération, louangé pour la palette lyrique et la touche subtile de ses toiles des années 1950. Avec le temps, il lui apparaît que la peinture pure, d'expression abstraite, ne lui convient plus. Il exprime son dilemme avec éloquence: « Au commencement des années 1960, je me sentais déchiré, schizophrène. La guerre, tout ce qui se passait en Amérique, la brutalité du monde. Quel genre d'homme suis-je donc, assis dans mon salon à lire des magazines, rageant de frustration à propos de tout, puis m'en allant dans mon atelier pour ajuster un rouge à un bleu? » (Michael Auping, « A Disturbance in the Field », dans Philip Guston, 1999) En réaction à la peinture « pure », Guston se met en quête non seulement de sujets différents, mais aussi d'un langage pictural neuf et impur. Il troque l'abstraction raffinée contre un style cru, violent et simplifié qui dit son angoisse et son désespoir. Des motifs créés en atelier - rappelant ses longues nuits de veille - alternent avec des paysages désolés, peuplés de personnages grotesques. Dans La pièce, la violence jaillit à la surface. La scène étroite de la toile porte les emblèmes de l'oppression et de la souffrance: un poing brandissant une matraque sanglante, un amas inextricable de jambes amputées. La « pièce » du titre est un espace domestique signalé par un petit tapis vert, preuve banale de l'existence du mal. Dans sa noirceur claustrophobe, la scène est à des lieues de l'espace abstrait d'une peinture portant le même titre mais achevée en 1955, où la « pièce » semble évoquer les concepts de liberté, d'espace et de possible. Théâtrales sans être narratives, les peintures tardives de Guston présentent la quête du peintre en termes à la fois autobiographiques et archétypaux. Bien que chargées de doutes, elles offrent une réponse vigoureuse à une question fondamentale, à savoir comment vivre son humanité à des époques difficiles. |