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En 1986, les émissions radioactives provoquées par l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, au centre-nord de l'Ukraine, ont condamné plus de 135 000 personnes à l'exil. Des millions d'acres de riches terres agricoles contaminées ont dû être mises en jachère. Des villes et des villages entiers sont restés figés dans le temps, remplis de vestiges de l'ancien régime soviétique et d'objets personnels abandonnés par les habitants en fuite. Depuis 1994, David McMillan, un photographe de Winnipeg, s'est rendu cinq fois à Tchernobyl, plus précisément dans « la zone » - le secteur le plus touché par l'irradiation - pour en documenter la lente détérioration et fixer sur pellicule les traces de ses anciens habitants. Dans une classe déserte, un mannequin anatomique déformé et adossé à un radiateur projette une sinistre image de mort. Une poupée de chiffon abandonnée gît au milieu de petites chaises renversées sur le sol dans la salle de classe d'un jardin d'enfants; ces objets semblent encore plus petits devant l'imposant portrait de Lénine tombé du mur. Dans une pièce inondée de lumière, où s'accumulent les gravats tombés du plafond, repose un bateau à moitié radoubé. Dans une salle d'hôpital, trois berceaux délabrés reposent contre un mur qui s'écaille. La nature reprend lentement ses droits dans les bâtiments et les cours. Des fougères, du gazon et un arbrisseau surgissent du plancher d'une pièce; des branches d'arbres s'entremêlent à la tuyauterie et aux poutres; la végétation envahit les terrains de jeu; des jardins étouffent sous la mauvaise herbe et les broussailles. McMillan a toujours été fasciné par les paysages urbains et le cadre bâti, notamment à cause des possibilités offertes par leurs formes. Souvent, le montage serré de ses photographies procède de la relation entre les formes, les lignes et les couleurs de divers éléments architecturaux; l'univers de l'homme apparaît ordonné, contrôlé et maîtrisé. Dans la série La zone d'évacuation de Tchernobyl, cette vision idéalisée se heurte à la réalité des conséquences de la catastrophe. La géométrie rigoureuse des structures érigées par l'homme s'effrite lentement sous l'action des éléments et l'ordre s'évanouit, petit à petit et irrémédiablement. L'organisation stricte de l'image est contredite par la nature même du sujet. La série de McMillan soulève d'autres questions intéressantes sur la représentation de la nature. Dans l'art paysager traditionnel, on voit souvent la nature comme une puissance capable de se régénérer elle-même ou comme un refuge spirituel. Intemporel, le monde de la nature contraste avec celui de l'homme, éphémère et destructeur. L'uvre de McMillan nous fait prendre conscience qu'à notre époque, l'idée même d'une nature inviolée n'est plus qu'un mythe, car les conséquences de l'activité humaine s'étendent désormais à l'ensemble de la planète. Même si l'humanité disparaissait, les traces de son passage subsisteraient et, dans le cas d'une contamination nucléaire, les effets produits sont d'autant plus graves qu'ils sont irréversibles. |