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Par essence toujours mouvantes, les collections des musées nécessitent une analyse constante, et il faut les réévaluer pour en déterminer les forces et les faiblesses. Par ailleurs, la recherche révèle parfois des aspects notables de la vie d'un artiste ou signale des uvres susceptibles de renforcer sa présence dans les musées publics. C'est le cas de L'homme de bienvenue d'Emily Carr. À l'époque où l'artiste habitait sur la côte ouest, le Musée des beaux-arts du Canada, qui fonctionnait avec un personnel réduit, n'entretenait que peu de relations avec les artistes de l'Ouest. Eric Brown, directeur du musée, n'apprit l'existence de Carr qu'en 1926. L'artiste, alors dans la cinquantaine, fut invitée à l'exposition Canadian West Coast Art Native and Modern, et sa présence à l'inauguration, en décembre 1927, resserra ses liens avec le Musée, lequel acquit peu après trois aquarelles peintes en 1912. En 1936, après la première crise cardiaque de Carr, le Musée acheta trois autres huiles, les dernières qu'il se procura avant la mort de l'artiste, en 1945. Le Musée possède aujourd'hui trois poteries, un tapis au crochet et quarante-trois dessins, aquarelles et huiles de Carr. Toutes ces uvres ont été acquises après une sélection rigoureuse, grâce à la générosité de nombreux donateurs, et au fil des circonstances. Toutefois, le Musée ne possède que huit peintures datant de 1912-1913, période où Carr réalisa ses premières uvres importantes, se consacrant aux sculptures et aux villages des Premières Nations de la Colombie-Britannique. L'homme de bienvenue, généreusement offert par Bryan Adams, renforce infiniment notre représentation des uvres de cette époque. Durant l'été 1912, Carr voyagea vers le nord de Vancouver jusqu'à Alert Bay, visita les villages kwakwaka'wakw (kwakiutl) de Tsadzis'nukwame', 'Mi'mkwamlis, Kalugwis et Gwa'yasdam's puis remonta la rivière Skeena jusqu'à Haida Gwai (îles de la Reine-Charlotte), retournant dans son studio de Vancouver en septembre. De ce voyage de six semaines, elle rapporta maintes études, essentiellement des aquarelles, qu'elle reprit à l'huile en utilisant la palette lumineuse apprise en France. En avril 1913, elle organisa une exposition de deux cents tableaux au Dominion Hall de Vancouver. Mais les problèmes financiers et les ventes limitées la forcèrent à abandonner la peinture jusqu'au début des années 1920. Bien que Carr ait noté le nom du village de Karlukwees (Kalugwis) sur cette toile, Peter Macnair, ancien conservateur au Royal British Columbia Museum, estime qu'il s'agit plutôt d'une figure de potlatch du village voisin de 'Mi'mkwamlis. Avec son bras tendu à la manière d'un orateur, la sculpture qui se dresse au premier plan emplit le tableau. Sa silhouette sombre se découpe sur les montagnes bleues et violettes et sur les petites îles au loin, tandis que l'eau et le ciel baignent dans la lumière jaune du soleil couchant. La facture vigoureuse et la tension dramatique de l'uvre sont rehaussées par la simplicité et le traitement quasi bidimensionnel de la silhouette. Datée de 1913, réalisée sans doute juste avant son exposition d'avril, cette uvre marque le point culminant de la première période de la carrière de Carr. |