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Le poisson qui parle
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David Ruben Piqtoukun
Le poisson qui parle, 2000
Stéatite du Brésil en gris, brun, rouge et noir
34 x 64,5 x 16,5 cm
Acheté en 2001

En 1976, l'artiste Pauloosie Kasadluak décrivait la sculpture comme un moyen de « révéler la vérité » sur la vie inuite au monde extérieur à l'Arctique. Après lui, d'autres artistes en sont venus eux aussi à considérer l'art inuit moderne postérieur à 1949 comme une importante ressource au sein de leur culture - puisqu'elle contribue à préserver le passé et ses valeurs pour le bénéfice des jeunes Inuits d'aujourd'hui et celui des générations futures. David Ruben Piqtoukun ajoute une dimension personnelle à cette entreprise, la sculpture constituant pour lui un instrument d'exploration essentiel des questions liées à l'identité et à la survie. Dans Le poisson qui parle, il offre une perspective novatrice du dialogue entre l'art inuit et les récits de la tradition orale.

Né près de Paulatuk, dans les Territoires-du-Nord-Ouest, Ruben descend des Inuits de l'Alaska et des Karmgmalitmiut (peuple du delta du Mackenzie). Dans son enfance, il fréquente les pensionnats à Aklavik et Inuvik. Cela se traduit par une dégradation de son aisance à s'exprimer en inuktitut et de ses habiletés de chasseur, ce qui l'incite, au début de l'âge adulte, à partir au Sud chercher du travail et un point d'ancrage. Après avoir vécu quelque temps en Alberta, il déménage à Vancouver où il se met à la sculpture. Très rapidement cela l'amène à une exploration de sa culture : « J'ai appris l'importance de comprendre mon passé et d'exprimer les récits oraux sous une forme visuelle », dit-il. Il commence alors à lire des ouvrages d'anthropologie portant sur les mythes et légendes inuits et cherche ensuite à recueillir les histoires de ses parents de Paulatuk lorsqu'il leur rend visite.

Piqtoukun a élaboré son propre symbolisme et produit un impressionnant corpus d'œuvres au cours des trois dernières décennies. L'ours, son esprit protecteur, y occupe une place de choix, tout comme son homonyme « Piqtou »- vent puissant qui souffle en rafales - et Saila, le dieu du vent. Ruben comprend également les fonctions didactiques et métaphoriques qui sous-tendent la tradition orale. Récemment, ses récits et ses sculptures se sont déplacés du passé immémorial aux réalités du présent et plus particulièrement à sa propre expérience de la vie « entre deux mondes ». Dans les années 1990, son travail acquiert une fonction de catharsis qui lui permet d'absorber l'expérience des pensionnats et de l'exil urbain.

Le poisson qui parle constitue un exemple remarquable de l'entrecroisement des histoires et de l'expérience morale et personnelle qui confère à l'œuvre de Piqtoukun une telle résonance. Après avoir vécu une vingtaine d'années à Toronto, il va s'installer sur les bords du lac Simcoe, conciliant ainsi sa pratique artistique et sa passion pour la pêche. Comme il l'explique lui-même, cette sculpture doit sa naissance à une période de frustration au cours de laquelle il n'avait pris aucun poisson pendant des semaines. Il lui semblait alors que les poissons le narguaient, alternant les sauts et les éclaboussures tout en évitant son hameçon. Se remémorant les façons de faire de ses ancêtres, l'artiste-pêcheur a conçu Le poisson qui parle en guise d'offrande aux esprits. Une fois la sculpture achevée, les poissons ont recommencé à se laisser prendre. « Le poisson s'est emparé de moi, soutient Ruben, il m'a secoué un peu, m'a donné quelques leçons, puis il m'a recraché ! » À ses yeux, l'expérience - et la sculpture avec sa figure humaine émergeant de la gueule du poisson - exemplifie les situations où nous sommes confrontés à des défis qui dépassent parfois nos capacités. Il arrive effectivement que nous nous sentions « avalés » par la situation. Lorsque nous refaisons surface, nous espérons que l'aventure vécue nous a rendus plus sages. Le poisson qui parle nous rappelle nos limites devant les forces de la nature et de la vie elle-même. Il montre également la signification et la puissance créatrice des contes.